Mandana du Rajasthan, "Bundi et les villages alentour" — partie 3

Bien que les mandana soient des décorations rituelles, réalisées pour de nombreuses occasions du calendrier hindou, la réalisation de ces peintures permet aux femmes d'échapper aux tâches ménagères et d'échanger avec les voisines.

Mandana du Rajasthan, "Bundi et les villages alentour" — partie 3

Dès le lendemain je reprends la route, direction Bundi dans le sud-est du Rajasthan. Je dois rencontrer un professeur de dessin, spécialiste des mandana. La voiture traverse les monts Aravalli qui conjuguent plateaux, collines verdoyantes, pentes escarpées et champs où abondent légumes, et cultures céréalières. Nichée entre deux collines au pied d’une forteresse qui surplombe un quartier couleur azur, Bundi accueille le voyageur auprès d’un immense lac qui juxtapose le jardin de l’hôtel « Nawal Sagar Palace » où j’ai réservé une chambre.

Le bassin de Nawal Sagar au cœur de la ville de Bundi

La visite de la cité s’apparente à une plongée dans le monde médiéval. La rue étroite au bitume défoncé, laisse apparaître des ornières boueuses pour le plus grand bonheur de cochons noirs qui déambulent en quête de nourriture.

Ruelle de Bundi

Puis la rue plonge vers le marché et les bazars colorés. De part et d’autre de la voie centrale, des venelles ombragées se faufilent entre des maisons bleues qui dévoilent ici et là des peintures murales au-dessus de la porte principale ou sur le pourtour des fenêtres. On raconte que l’écrivain Rudyard Kipling s’installa dans la ville pour y achever la rédaction de Kim.

Ruelle de Bundi
Peinture murale sur l'entrée d'une maison

Nous sommes à quelques jours de la fête des lumières et la ville est en effervescence. Les festivités commencent avec Dhanteras et la tradition veut que l’on achète de l’or ou de l’argent ou encore des ustensiles neufs pour la maison. Le deuxième jour, appelé Roop Chaudas marque la purification des corps mais aujourd’hui, le rituel se confond volontiers avec un rendez-vous dans un salon de beauté. Le troisième jour enfin, Lakshmi est célébrée de manière somptueuse. On décore sa maison, on dessine des mandana accompagnés de l’empreinte symbolique des pieds de la déesse afin de la guider vers son foyer.

Empreinte des pieds de la déesse Lakshmi
Allumer des lampes à huile le soir de la fête des lumières Diwali

Visiter  les villages alentour

En attendant les festivités, je rencontre mon interlocuteur qui me propose de parcourir quelques villages environnants le lendemain. La matinée s’annonce belle, nous sommes en octobre et il ne fait pas très chaud. La route se transforme vite en chemin de campagne et le chauffeur slalome entre les nombreux nids de poule. Le paysage décline des instants de verts qui se dressent vers le ciel, s’enroulent autour de poteaux ou s’étalent sur la terre fertile car cette région du Rajasthan cultive le blé, le riz, l’orge, le coton, la canne à sucre et les graines oléagineuses.

Sur la route, nous nous arrêtons chaque fois que nous voyons des femmes réunies devant les maisons pour peindre de concert. L'ambiance est joyeuse, concentrée, et j'admire leur esprit créatif et les motifs si vivants qui redessinent les cours et les murs des maisons en pisé. Sur les terrasses, des fleurs imaginaires s'épanouissent au gré des rires et du plaisir de la peinture partagée. Bien que les mandana soient des décorations rituelles, réalisées pour de nombreuses occasions du calendrier hindou, la réalisation de ces peintures permet aux femmes d'échapper aux tâches ménagères et d'échanger avec les voisines. Quelques jours, voire quelques semaines avant Diwali, les murs en pisé, les sols des terrasses ouvertes et les plateformes surélevées sont enduits d'un mélange de bouse de vache et d'argile. Toutes les surfaces de la maison sont repeintes. Y a-t-il un répertoire spécifique ? Je remarque que les images sur le sol sont plutôt géométriques, alors que les murs sont peuplés d'animaux, d'oiseaux et plus particulièrement de paons. On trouve aussi des motifs floraux et des formes humaines.

Pour peindre, elles utilisent un tronçon de la nervure d’une feuille de palmier dattier (khajur) lequel, fonctionne comme un réservoir tant il est fibreux. 
Pour peindre, elles utilisent un tronçon de la nervure d’une feuille de palmier dattier (khajur) lequel, fonctionne comme un réservoir tant il est fibreux. 
Les femmes se rassemblent pour peindre les mandana pour la fête des lumières
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Un tronçon de la nervure d’une feuille de palmier dattier (khajur) pour peindre

Des peintures murales appelées thapa

Plusieurs jours avant Diwali, les murs des maisons sont ornés d'un bestiaire protecteur comprenant des animaux et des oiseaux domestiques ou sauvages tels que le tigre (nahar), le léopard (bagelda), le singe (bandra), le loups (shyad), le lapin (sussa ou kadakkhada), le porc (surada), le chien (gandakhada), l'âne (kachar gadha), le chat (balaiee), le cerf (shyamar), la vache (gaya), le boeuf (bail), le chameau (oont), le mouton (bhed) ; des oiseaux comme le paon (mor-moradi), le moineau (chudya-batriya) et le perroquet (haria) ; des insectes comme le cafard (pocher) ; des reptiles comme le serpent (saanp) et le lézard (chapakali). Les tigres et les léopards ont disparu de la région en raison des chasses intensives dans le passé. Leurs représentations dans les mandana témoignent d'une époque où ils abondaient dans les forêts luxuriantes et n'étaient pas confinés dans des réserves. Peu importe que les femmes n'en aient jamais vu dans leur environnement proche, ils font partie du répertoire iconographique et sont peints de manière très stylisée au point qu'il est parfois difficile de reconnaître à quel félin l'image fait référence.

Les éléphants en revanche, étaient capturés à des fins militaires, pour les travaux agricoles, pour les processions religieuses, les festivals, la chasse et ils sont devenus l'emblème du pouvoir des Maharajas au Rajasthan. Pourtant, ces pachydermes que l'on associe au dieu Ganesh sont loin de vivre paisiblement ; ils montent et descendent la route pavée et escarpée qui mène au pied du fort d'Amber, transportant de nombreux touristes pendant des heures. Mais ces dernières années, plusieurs ligues de protection des animaux ont appelé les voyageurs et les voyagistes à mettre fin une fois pour toutes à l'exploitation de ces animaux sauvages.
Les chevaux captivent également l'imagination et apparaissent sur les murs comme montures de la  noblesse rajpoute, ils incarnent le pouvoir, la force et la richesse.

Peinture murale, rue d'Udaipur, Rajasthan

Des oiseaux peuplent les murs sans qu’une place spécifique leur soit attribuée. C’est ainsi que l’on contemple voletant ici et là, des perroquets, des pigeons, des corbeaux ou des moineaux. Parfois, une colombe pensive orne le coin d'une façade et converse silencieusement avec une aigrette ou un héron. Picorant le sol, perchés sur un arbre ou levant les yeux au ciel, les expressions des oiseaux varient selon l'imagination des femmes. Les singes sont également des figures familières des peintures murales. Ils apparaissent de nulle part en groupes et batifolent librement avec des visages facétieux. D'autres créatures, comme les rats et les scorpions, errent le long des murs près du sol.

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Moineau et souris ornent le bas d'un mur

Parmi les oiseaux, le paon, symbole national de l'Inde est un motif très prisé. On le voit souvent par deux, de part et d'autre d'un élément floral sur les pignons des maisons ou sur les murs. Depuis les temps anciens, poètes, bardes, danseurs et peintres ont célébré sa beauté. Oiseau légendaire, l'imposante traîne de plumes ocellées qu'il déploie en éventail est une source inépuisable d'extravagances graphiques ; en grilles, losanges ou en lignes parallèles courbes, son plumage se décline en d'infinies variations. Le dieu Krishna porte une plume de paon, l'oiseau sert de monture à Kartikeya, le dieu de la guerre et à Saraswati, déesse de la parole, mère des écritures et de la connaissance.


Mais au milieu de ce bestiaire, les peintures de femmes font également partie des images symboliques que l'on peut voir sur les murs. Elles se représentent souvent dans les tâches quotidiennes domestiques : la corvée d'eau et la collecte du bois pour la cuisine.


Histoire à suivre..

Articles précédents:

Mandana du Rajasthan, "Jodhpur, la quête commence"— partie 1

Mandana du Rajasthan, "Lakshmi dessine pour Diwali" — partie 2