Kalam du Kérala, " Visiter l'école du Kalamandalam " — partie 2

Ravishankar, m’attend pour me faire part du programme du jour dont la visite de l’institution du Kalamandalam fondée en 1930 par le poète Vallathol Narayana Menon. L’école est devenue au fil des années, l'un des principaux centres d'apprentissage des arts classiques du Kérala.

Kalam du Kérala, " Visiter l'école du Kalamandalam " — partie 2

Alors que les premiers rayons du soleil commencent à dissiper la nuit, des chants d’oiseaux se font entendre autour de la maison de mon hôte. Parmi les premiers à saluer le jour, il y a le Grand Coucal appelé chakora ou uppan au Kérala avec son chant profond et incomparable.

Jardin de KP Ravishankar et Vasanthi

L'oiseau solitaire, à la silhouette sombre retient l’attention par ses ailes orange cuivré et ses yeux perçants couleur rubis. Porteur de bons présages, l’adage veut que quiconque entende son chant de bon matin est assuré de réussir sa journée. L'œuvre la plus célèbre de Ramapurathu Warrier, un poète kéralais du 18e siècle est Kuchela Vrittam qui dépeint l'histoire de Kuchela, un brahmane pauvre et ami d’enfance de Krishna, qui se rend à Dwaraka pour le rencontrer. En quelques vers, le poète a donné le ton de son voyage, qui commence sous d’heureux auspices :

" Dans le doux soleil du matin, alors qu'il cheminait, Kuchela demeurait en extase, chantant le nom de Krishna. Son chemin était agréable, car à sa droite se tenaient des chakora dont le chant joyeux lui parvenait au fur et à mesure qu'il avançait."

Kuchela Vrittam, Ramapurattu Warrier, traduit du malayalam par Reade Wood

Pendant que je savoure un chai (thé) en contemplant le lever du soleil, d'autres oiseaux se joignent à la symphonie matinale. Une bande de Cratéropes affin à la recherche d'insectes, fouille méticuleusement les racines des plantes du jardin. Impossible de les manquer car ils se déplacent en groupe, sont bruyants et babillent sans cesse. Une Tourterelle tigrine à la nuque perlée, perchée sur un fil électrique, émet un doux roucoulement tandis que des paons traversent nonchalamment le jardin. Devant la fenêtre de ma chambre, des Souïmanga à croupion pourpre font du vol stationnaire autour des hibiscus à la manière des oiseaux-mouches. Ils vivent près des fleurs car ils se nourrissent principalement de nectar. Dans cette harmonieuse cacophonie, il y en a tant d’autres, comme le Bulbul orphée, le Barbu vert, le Drongo royal à queue fourchue etc.

Quand bien même j’aurais lu et relu « The book of Indian Birds » du célèbre ornithologue indien Salim Ali, il m’aurait été impossible, d’identifier tous les oiseaux sans l’application BirdNet. Alors que certains d'entre eux étaient à portée de vue, d'autres n'étaient visibles que par leurs cris ou leurs chants. BirdNet, une merveille de la technologie, est un logiciel qui enregistre le chant ou le cri d'un oiseau via le micro du téléphone, puis un algorithme analyse les sons, les compare à une base de données de chants d'oiseaux du monde entier et pour finir, l’image et le nom de l’espèce s'affichent sur l'écran.

Vasanthi, mon hôtesse, interrompt mon enquête pour me rappeler que le petit déjeuner est prêt. Elle rayonne d'énergie et se prépare pour une journée bien remplie à l'école où elle enseigne.  Ravishankar, son mari, m’attend pour me faire part du programme du jour dont la visite de l’institution du Kalamandalam fondée en 1930 par le poète Vallathol Narayana Menon. L’école est devenue au fil des années, l'un des principaux centres d'apprentissage des arts classiques indiens, en particulier du Kathakali et du Mohini-Attam.

Le Kuttampalam du Kalamandalam est un édifice en bois érigé sur un soubassement de pierre, servant aux représentations de théâtre

Le petit-déjeuner terminé, nous nous mettons en route et, après une heure de trajet, nous arrivons dans la ville de Cheruthuruthi. Nichée dans un écrin luxuriant, l'institution compte plusieurs bâtiments et les salles de classe résonnent déjà des sons de la musique de danse, des frappés de pieds qui varient selon les styles et des rythmes de divers instruments de percussions, le tout sous la houlette des Asan ou maîtres expérimentés.

Salles de classe

L’émotion me submerge toujours lorsque j’entends résonner les chenda, ces tambours cylindriques joués verticalement avec des baguettes légèrement incurvées, car autrefois, c’est ainsi que les habitants d’un village étaient informés qu’un Kathakali allait avoir lieu le soir même. En raison de sa puissance sonore, il fait partie intégrante des processions religieuses, des festivals culturels et des cérémonies sociales au Kérala.

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Un ensemble de chenda 

La visite se poursuit et dans chaque salle de classe, des souvenirs mêlant nostalgie et gratitude refont surface. Tout dans cet environnement est familier et me rappelle mes années de découverte et d’apprentissage du théâtre Kathakali et de la danse classique Mohini-Attam, qui ont été pour moi plus qu'une simple pratique artistique, mais aussi une expérience culturelle et spirituelle.

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Cours de Mohini-Attam avec Kalamandalam Sangeetha, les élèves interprètent une pièce dédiée au dieu Ganesha

Un jour, sans trop savoir pourquoi, le destin m’a emmenée au Kérala et là, dans les temples des villages, à la tombée de la nuit, des acteurs aux costumes somptueux mimaient des récits mythologiques à la lueur des lampes à huile. Dans ce théâtre traditionnel, les mains saluent, se touchent, se défient, deviennent poissons, oiseaux, se confondent pour former le capuchon du cobra. Parfois, les doigts recroquevillés deviennent les griffes d’un tigre ou les sabots d'un cheval. Le Kathakali avait touché une corde sensible en moi, éveillant ma curiosité et mon admiration pour cette forme unique d'expression théâtrale.

Cours et répétition des rôles 

J'ai instantanément été attirée par la symbiose entre la danse, le théâtre, la musique et les mudra ; ce langage silencieux qui raconte avec les mains, des récits épiques et mythologiques, traduisant des émotions complexes et des valeurs culturelles profondes. Dans les rituels hindous, le prêtre, tel un conteur, s'adresse également au divin, ses doigts façonnant avec dévotion les formules sacrées pour inviter les divinités à se manifester dans un diagramme géométrique ou dans une peinture éphémère appelée Kalam au Kérala.

Prêtre hindou qui s'adresse à la divinité par le biais des mudra ou gestes des mains

La principale session matinale de Kathakali réunit danseurs, chanteurs et musiciens. Cet exercice appelé choliattam est destiné à préparer les étudiants à la scène publique. Ils répètent des rôles ou des séquences dansées et s’exercent à l’improvisation.

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Choliatam de Kathakali avec le professeur Kalamandalam Ravi Kumar. La pièce est intitulée Kalakeyavadham (la mort de Kalakeya) avec le héros Arjuna.

Je poursuis ma visite, accueillie cette fois par le son du maddalam. Cet imposant tambour cylindrique, porté autour de la taille a une partie centrale légèrement incurvée et se joue avec les mains. Chaque matin, les élèves étudient les rythmes en s'appuyant sur l'énoncé précis des bol ; une succession de syllabes dont les sons et les accentuations correspondent à des enchaînements.

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Classe de maddalam
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Avant de jouer sur un vrai maddalam, les élèves s'entraînent sur un tambour factice en bois

Ce système mnémotechnique est également utilisé par les danseurs, qui apprennent par cœur toutes les séquences chorégraphiques. Ailleurs, des groupes d’étudiants sont répartis selon leur spécialité ; trois jeunes filles vocalisent en battant la mesure, tandis que de futurs maquilleurs apprennent les lignes et les couleurs de chaque catégorie de personnages, ainsi que l’art de superposer des découpes de papier blanc sur les parties saillantes du visage pour créer l'illusion d'un masque.

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Répétition de chant pour la danse
Cours de maquillage de Kathakali

Pour conclure la visite de l'école, nous nous recueillons sur la tombe du poète Vallathol, fondateur de l'institution, avant d'entrer dans la galerie de portraits des acteurs les plus illustres qui ont contribué à la préservation, à la promotion et à l'enrichissement du Kathakali.

Galerie des maîtres de Kathakali

Kalamandalam Krishna Nair a été l'un de mes professeurs et je lui serai toujours reconnaissante pour son enseignement inestimable, son sens de la narration et sa compréhension des émotions humaines. Sa présence et son charisme resteront à jamais gravés dans les mémoires.

Je repars émue, emportant avec moi une étincelle de cet éclatant héritage. Demain un modeste temple de village accueillera la présence du dieu chasseur Vettakkorumakan, une divinité chère aux habitants de cette partie du Kérala.


État du Kérala

Histoire à suivre…


Article précédent :

Kalam du Kérala, " En route pour le village de Paruthipulli " — partie 1